CHAPITRE VIII
Comme nous approchons du camp, un long cri guttural nous enjoint de nous arrêter. Une sentinelle. Lhoa lui répond et nous attendons à côté d’un vaste buisson d’Aran qui ne fleurit que la nuit.
Des fleurs énormes se balancent au-dessus de nos têtes et leur parfum me rappelle celui des lilas terriens, en beaucoup plus fort et plus entêtant.
Un glissement dans l’herbe et, soudain, une dizaine de nomades nous entourent. Nous ne les avons pas entendus arriver. Ils n’ont d’ailleurs rien de menaçant, mais sont tout de même armés d’une longue lance et d’un sabre court à large lame.
Dès qu’ils reconnaissent Lhoa, ils s’inclinent respectueusement. Moi, par contre, ils me regardent sans aménité à la lueur des torches qu’ils ont allumées seulement après nous avoir rejoints.
Immédiatement, Lhoa leur donne ses ordres. D’une voix impérieuse, et ils s’inclinent de nouveau.
— Ils vont nous conduire au chef de la horde.
— Nous n’avons rien à craindre d’eux ?
— En principe, non, car ils ne doivent pas encore savoir ce qui s’est passé au temple de Soldo.
— Et que les Tolks ne respectent pas les prêtres ?
Elle a un mouvement désabusé des épaules.
— Vous allez leur demander des chevaux ?
— Oui.
— Et un guide ?
— Plutôt une escorte jusqu’à l’entrée des marais de Haravan où elle n’osera pas nous suivre.
Le camp se compose d’une trentaine de vastes tentes faites de peaux de bêtes. Au centre, la plus grande, celle du chef. Nous devons attendre qu’on l’ait réveillé.
Lhoa a repris ses allures de grande prêtresse et les indigènes qui nous entourent la regardent avec une crainte superstitieuse. On lui apporte une sorte de large tabouret de cuir et elle s’assied.
Moi, je n’ai droit à aucun égard. Je me tiens derrière elle. A peu près ignoré. On ranime les feux du camp, et les femmes commencent à sortir des tentes.
Elles sont plus vulgaires et plus grossières que les femmes que j’ai vues à la base et même que les esclaves du temple de Soldo, ce qui ne leur enlève pas une certaine beauté.
Ah ! voilà le chef de la horde. Un grand gaillard un peu voûté et aux muscles énormes. Le visage est rude, les cheveux roux mal peignés. De petits yeux ronds étincelants.
Il porte un large pantalon de cuir et, sous une veste courte, de cuir également, un chandail de laine. En face de lui, Lhoa reste assise et j’ai le sentiment que ça ne lui plaît pas, mais il n’ose faire aucune remarque. Il écoute ce qu’elle lui dit puis hoche la tête, avant de faire signe à deux de ses hommes qui s’éloignent.
— Il va nous fournir des chevaux et une escorte, me souffle Lhoa.
Je fais la moue.
— L’escorte est vraiment indispensable ?
Un sourire joue sur ses lèvres.
— Le chef ne comprendrait pas si je n’en réclamais pas une… Vous n’avez pas confiance ?
— Pas tellement. Et vous ?
— Moi, non plus… Ils savent que les Tolks tiennent toute la plaine et que vous êtes leur ennemi.
— Ils vont sans doute chercher à me livrer.
— Tout dépend de l’influence que j’exerce encore sur eux.
On nous amène les chevaux. A la lumière des torches, le spectacle doit avoir quelque chose d’un peu fantastique, et se remarquer de très loin.
Grosse, l’escorte. Plus de vingt hommes avec leur sabre et leur lance. Escorte ou garde-chiourme ?
— Nous ne passerons pas facilement inaperçus, avec tout ce cortège.
— Ils n’oseront pas nous suivre dans les marais de Haravan, surtout la nuit.
— Ils savent que c’est là que nous allons ?
— Oui.
Un cavalier vient de quitter le camp, et il ne prend pas la même direction que nous. Lhoa l’a vu aussi et elle fronce les sourcils tout en continuant à écouter le chef de la horde.
Bon ! Son discours est fini. Il salue une dernière fois et nous partons. Cinq hommes en tête, cinq sur notre droite, cinq sur notre gauche et cinq derrière.
Pratiquement, nous sommes prisonniers.
— Rien à tenter tant que nous serons à proximité du camp, me dit Lhoa.
Je m’en doute. Heureusement, les cinq cavaliers de tête mènent un train rapide. Ce qui m’effraie un peu, c’est que nous avons au moins trente kilomètres à parcourir, sans parler de la traversée des marais de Haravan et que l’attaque des Tolks sera lancée à l’aube.
Le temps se rétrécit terriblement pour nous. Tout en chevauchant, Lhoa a sorti de sa ceinture l’étrange équerre qui lui a déjà servi dans la cour d’honneur du Temple, pour rendre fous les deux gardes du grand escalier.
Je vois qu’elle appuie sur la détente, mais elle ne vise personne avec son arme qu’elle tient braquée contre le sol. En tout cas, les cavaliers de notre escorte ne paraissent pas incommodés… Moi non plus.
Soudain, un sourd barrissement s’enfle démesurément sur notre droite. Les chevaux se cabrent, puis, relancés, se mettent à fuir éperdument, pendant que nous entendons un grand bruit de branches cassées.
Dans la clarté des deux lunes de Bolkar, un brakar énorme débouche d’un hallier et fonce derrière nous. Je connais ce monstre qu’on retrouve sur à peu près toutes les planètes de la galaxie. Deux fois la taille d’un hippopotame terrien, dont il a l’allure et la corne relevée au bout du museau.
Là s’arrêtent les similitudes. Le brakar est un redoutable carnassier, plus féroce que le tigre. Il court derrière nous en faisant trembler la terre.
Les chevaux se débandent presque tout de suite et commencent à s’égayer. Les cavaliers n’étant plus capables de les maintenir. Un instant, cette dispersion fait hésiter le monstre, mais Lhoa lance un long cri strident qui le ramène sur nous…
Nos chevaux repartent mais, brusquement, le mien trébuche et s’affale en me faisant passer par dessus sa tête… Le fauve lance un long hurlement victorieux, mais je me suis déjà redressé, mon pistolet thermique à la main.
Tirée trop précipitamment, la première décharge rate le monstre de peu, mais son rayonnement éblouit tout de même l’énorme animal qui hésite une seconde en grognant de fureur…
Lhoa a arrêté son cheval, et, de nouveau, par ses longs cris stridents, elle essaye d’attirer le brakar sur elle. Je tire une seconde fois, pour faire mouche, en pleine gueule… La tête de la monstrueuse bête s’embrase d’un seul coup. Folle de douleur et aveuglée, elle bifurque sur sa gauche en essayant de reprendre sa course, mais elle s’écroule immédiatement avec un effroyable rauquement.
Mon cheval s’est relevé et Lhoa a pu le retenir. Il tremble terriblement, mais il n’est pas blessé.
— Drôle de séance, je fais… C’est vous qui avez appelé le brakar ?
— Pas appelé… les vibrations l’ont réveillé, c’est tout… Je me doutais bien qu’il s’en trouvait un à proximité.
Au loin dans la plaine, quelques lumières se mettent à converger dans notre direction. Les Tolks qui montaient en ligne ont sans doute été alertés par les décharges de mon pistolet thermique.
Je remonte en selle.
— Il faut fuir, Lhoa.
— Nous ne sommes plus très loin des marais de Haravan… Mais comment est votre cheval ?
— Je crois qu’il n’a rien.
Si… Il boite très légèrement. Impossible de le lancer au galop. Nous partons néanmoins. Je m’en remets entièrement à la jeune femme et je remarque tout de suite qu’elle sait admirablement exploiter le terrain pour nous rendre pratiquement invisibles dans la plaine.
Une véritable partie de cache-cache où nous avons l’avantage de toujours savoir exactement où se trouvent nos adversaires qui se signalent par leurs phares.
Il y a aussi les cavaliers de la horde qui se sont débandés dans toutes les directions et avec lesquels on doit nous confondre. De plus, les Tolks ne connaissent pas le terrain et ça les oblige à avancer avec une grande prudence.
— Ils ont dû bloquer toute la lisière des marais, me dit Lhoa, et ils nous rabattent par les ailes.
— Avec des trous dans leur dispositif.
— Qui devraient nous permettre de passer.
Le filet se resserre progressivement, mais nous touchons au but. Devant nous, une ligne de chars immobiles à la droite et à la gauche de laquelle des unités en mouvement sont censées nous encercler.
Plusieurs cavaliers de notre ancienne escorte se sont déjà fait prendre… Les Tolks se contentent de les identifier puis ils les abattent impitoyablement.
A deux reprises, j’ai enflammé des buissons, à distance, de façon à tromper nos poursuivants et deux fois, ça nous a permis de nous dégager, mais la partie devient de plus en plus serrée.
Soudain, sur notre droite, une galopade. En me dressant sur mes étriers, j’aperçois trois cavaliers indigènes, qui ont sans doute appartenu à notre escorte. Ils nous croisent à une vingtaine de mètres.
— Ils n’ont pas osé s’engager dans les marais, me souffle Lhoa.
— Ou les Tolks les ont obligés à rebrousser chemin.
De toute façon, ils se font rapidement repérer et plusieurs chars amorcent un mouvement pour les encercler… Ce qui nous ouvre un passage, mais comme mon cheval ne peut pas galoper, nous ne pouvons en profiter qu’à moitié.
Lorsque nous arrivons à l’entrée des marais, le passage est barré par un énorme char d’assaut, ce qui nous oblige à stopper à une distance respectueuse.
— Vous pouvez vous servir de votre équerre ?
— Ses vibrations ne franchiraient pas le blindage… et votre arme thermique ?
— Il faudrait que je puisse viser un créneau de tir et ne pas rater mon coup.
Autour du char, une large zone éclairée. De plus, un projecteur balaye la plaine dans un rayon de deux cents mètres.
— Le projecteur, je peux le détruire.
— Attendez que son jet lumineux soit sur le point de nous rejoindre… mais abandonnez votre cheval et montez en croupe.
Je ne sais pas ce qu’elle veut faire, mais je m’en remets à elle. Je saute en croupe, puis, mon pistolet au poing, j’attends le moment opportun.
Nous sommes dans l’ombre, hors de portée du jet lumineux, mais, lorsque le projecteur explosera, une immense lueur éclairera toute la plaine…
Je tire… et un véritable feu d’artifice éclate au-dessus du char. D’un coup de cravache. Lhoa a d’abord cinglé mon cheval qui file sur la gauche, pendant qu’elle éperonne le sien qui fonce sur la droite…
Une course éperdue… Dans la zone d’ombre… Les Tolks ont dû être éblouis par la réverbération sur leurs écrans de visibilité, car ils ripostent avec un temps de retard…
Nous avons dépassé la zone dangereuse lorsque la salve retentit. Lhoa retient notre monture. Nous sommes déjà dans les marais et l’eau gicle autour de nous. Une eau sournoise qui jaillit, ici d’une touffe d’herbe, là d’une bande de terre qui paraît solide.
Lhoa saute à terre.
— Il faut soulager le cheval. Ray… Jusqu’à ce que nous ayons atteint une piste.
Déjà, je me suis laissé glisser. Le sol est spongieux, mais encore ferme. Lhoa s’agenouille et pointe son équerre en face de nous.
— Que faites-vous ?
— J’essaye de repérer la bande de terre solide.
— Avec les vibrations ?
— Oui… Un peu à la manière de vos radars ou de vos lasers… La banquette solide la plus proche se trouve à trois cents mètres.
— Ça paraît très peu, mais j’imagine que cela peut être énorme ?
— Pour le savoir, nous devrons y aller.
Je me retourne du côté du char. Ses occupants ont été trompés par mon cheval qu’ils ont eu le temps d’apercevoir une brève seconde avant que je ne fasse sauter leur réflecteur.
C’est dans sa direction qu’ils ont ouvert le feu et ça nous a permis de passer… Ouais !… Au fond, nous avons échappé à un danger pour nous retrouver en face d’un autre, presque pire, à cause de tout ce qu’il recèle d’insidieux et d’inconnu.
— En prenant le char à revers, j’ai peut-être une chance de pouvoir m’en approcher suffisamment pour pouvoir le détruire.
Elle secoue la tête.
— Des Terriens ne pourraient pas supporter d’attendre plusieurs heures avant de savoir ce qui s’est passé et ils sortiraient pour fouiller la plaine, mais les Tolks n’ont pas de nerfs… Ils ne prendront aucun risque…
Un sourire monte à ses lèvres.
— D’autant plus qu’ils savent que vous possédez une arme thermique.
Bon. Le marais, alors !… La fin la plus lamentable et la plus atroce si nous échouons… Une fin qui me révolte d’avance et contre laquelle tout mon corps se hérisse, mais je n’ai pas le choix.
Lhoa ajoute :
— Je prends le cheval par la bride… Cramponnez-vous au pommeau de la selle.
Il y a là quelque chose d’anachronique et de piteux qui me ramène, moi qui appartenais aux conquérants de l’espace, à l’âge des cavernes.
Nos moteurs atomiques, nos armes thermonucléaires, tous les progrès de nos techniques, nous laissent aussi désarmés qu’autrefois devant un caprice de la nature.
— Allons, je fais avec un soupir.
Aux premiers pas, l’angoisse mord mon ventre et ces premiers pas sont relativement faciles. Le marais tente de nous garder, mais il ne parvient encore qu’a nous retarder.
Il happe simplement les semelles de nos bottes que nous devons lui arracher… Le cheval, par contre, enfonce tout de suite jusqu’aux chevilles.
Trois cents mètres. Compte tenu de la longueur de nos enjambées, cela représente de mille à douze cents pas. J’en compte mentalement six cents avant que notre progression ne devienne vraiment dramatique.
D’un seul coup, le cheval enfonce jusqu’au poitrail et nous jusqu’aux genoux. La pauvre bête avance quand même, mais péniblement, et en force. En haletant.
C’est un peu comme si le sol ne formait qu’une mince couche sous laquelle se trouverait de l’eau, ou plus exactement comme si le sol s’enfonçait dans l’eau avec nous. Une eau épaisse et nauséabonde qui bouillonne longtemps derrière nous.
— Ces marais ne contiennent pas d’animaux dangereux ?
— Des boas et des sauriens.
— Et s’ils nous attaquaient ?
— Je les chasse autour de nous, répond Lhoa.
Elle tient son équerre braquée sur l’eau, le doigt appuyé sur la détente.
— Et notre cheval ne ressent pas l’effet des vibrations ?
— Si… et c’est ce qui lui donne encore la force d’avancer…
Je commence à être épuisé et si je ne pouvais pas me tirer sur le pommeau de la selle, je n’arriverais sans doute déjà plus à me dégager depuis longtemps.
Lhoa se débrouille beaucoup mieux. Soit par habitude, soit parce qu’elle est plus légère… Du côté du char, aucune réaction, bien que le marais se soit brusquement animé d’une multitude de cris, de piaillements ou de glapissements assez effrayants.
Dans le ciel, quelques avions tolks commencent à apparaître. Ils cherchent sans doute déjà à repérer les positions avancées du Corps expéditionnaire.
— Nous n’arriverons pas avant l’aube.
— J’ai bien peur que non, mais les postes qui gardent les marais n’auront certainement pas encore été attaqués.
Mille deux cent quinze pas et nous ne sommes pas encore au bout. Le cheval refuse tout à coup d’avancer. Refuse ou ne peut plus. Rien n’y fait. Ni nos encouragements ni les coups de cravache.
Lhoa lâche la bride de l’animal et braque son équerre devant nous…
— Deux mètres à peine, dit-elle d’une voix affolée… Deux mètres que nous ne pourrons peut-être jamais franchir.
Une dernière fois, elle essaye d’entraîner notre monture, mais sans succès. Le cheval ne veut plus bouger et, pour nous, il n’est pas question de continuer sans point d’appui…
Pas question non plus de rester immobiles, car nous commençons déjà à enfoncer… Un effort m’arrache à la gangue vaseuse et je me hisse sur le dos du cheval qui s’enfonce d’autant… Immédiatement, de cette espèce de tremplin, je plonge en avant en me retournant d’un coup de rein…
Une fois allongé sur la vase, j’étends mes bras en croix. Lhoa comprend et n’hésite pas. Elle aussi se hisse sur le cheval puis s’élance… Je lui sers de passerelle… En deux enjambées, elle passe le cap difficile et, une fois sur le sol ferme, s’allonge et m’empoigne par une main.
Comme elle m’attire avec une force surprenante, je me retourne et, grâce à son aide, je parviens, moi aussi, à m’accrocher à la bordure solide… Un rétablissement et je me retrouve allongé à côté de la jeune prêtresse.
— Ray…
Au bord des larmes, elle se serre convulsivement contre moi et ses lèvres accrochent les miennes… Tout s’efface durant quelques instants, aussi bien pour elle que pour moi, mais un hennissement désespéré nous ramène à la réalité.
Notre cheval est perdu. Seule, sa tête émerge encore du cloaque… Je sors mon Fulgurant et je l’ajuste pour mettre un terme à ses souffrances.
L’aube s’annonce, mais nous sommes encore loin d’avoir franchi les marais. L’équerre de Lhoa nous a permis de nous maintenir sur la bande de terrain solide qui serpente au milieu des terres spongieuses.
Je me suis servi de cette arme étrange. Réglée sur sa plus faible intensité, ses vibrations déclenchent un recul lorsqu’elles sont braquées sur un corps solide de quelque nature qu’il soit. Fixe, c’est le sol ; mouvant, un animal qu’on fait fuir en appuyant plus fort sur la détente.
Cette arme me déroute encore plus que le translateur, car elle est incompréhensible pour un esprit rationnel. Ce que j’appelle la détente, ou la gâchette, ne correspond à aucun mécanisme apparent. C’est une mince tige de métal, un métal inconnu, comme celui des deux branches de l’équerre.
Les marais paraissent infinis. Dans la clarté un peu hésitante du matin, ils s’étendent, enveloppés de brumes, semés de hauts bouquets de roseaux ou d’ajoncs fantastiques. Par-ci par-là, des nappes menaçantes de nénuphars géants aux fleurs monstrueuses plus grosses que des têtes d’homme.
Ce sont des nénuphars carnivores pour lesquels j’éprouve une répulsion insurmontable. Soudain, au milieu d’une vaste feuille à demi immergée, j’aperçois une botte de cuir.
La botte d’un Tolk, mais l’horreur de sa fin me bouleverse quand même. Je retiens Lhoa par le bras.
— C’est ici que vous les avez amenés ?
— Oui… J’avais averti l’Algar, mais elle n’a pas voulu m’écouter… Je lui ai dit qu’on ne pouvait plus atteindre le temple de Haravan.
— Car il y a un temple au milieu de ces marais ?
— Il y en a eu un, mais cela fait près de cinquante ans que tous les accès qui y conduisaient se sont effondrés… S’il faisait plus clair, vous apercevriez ses vestiges… L’Algar en avait entendu parler, elle voulait le retrouver…
— Et vous lui avez dit où il se trouvait ?
— Non… Il n’y avait aucune raison… Je n’aidais pas les Tolks plus que les Terriens… C’est l’Algar qui m’a ordonné de me rendre à la base d’interception pour essayer de savoir ce que vous saviez à propos de ce temple des marais.
— Je n’en avais jamais entendu parler.
— Peu m’importait. J’ai vu l’occasion de donner aux Tolks un gage de la bonne volonté de la caste des prêtres sans nuire aux vôtres…
— Vous m’avez tout de même soumis à l’analyseur de pensées.
— Il était réglé sur sa plus faible intensité et je n’ai rien dit aux Tolks de ce qu’il me permettait de lire en vous…
— Qu’est-ce que vous avez raconté ?
— J’ai dit que vous connaissiez l’emplacement du temple.
— Ouais !… Et l’Algar a exigé que vous la conduisiez ?
— Exactement… Arrivés à la limite des terres solides, je lui ai expliqué que rien ne lui permettrait de continuer en direction des ruines que nous apercevions… Elle m’a ri au nez, car elle avait tout prévu… et croyait pouvoir y arriver avec un véhicule amphibie…
— Elle ne vous a pas obligée à la suivre ?
— Non, mais elle a laissé deux hommes pour me garder… ici.
— Je vois.
— Ces gardes se sont approchés des nénuphars pour s’amuser à en couper les tiges à coups de sabre… Ils ont été happés au moment où le véhicule-amphibie s’est trouvé pris par un tourbillon… L’Algar a crié et ils ont eu une seconde d’inattention…
Ça n’enlève rien à l’horreur de la situation. Je sors mon pistolet thermique… Ma décharge se perd dans l’immonde profondeur et l’eau stagnante se met immédiatement à bouillir pendant que le nénuphar, touché à mort, se recroqueville et se fane.
Les premières vagues d’avions de bombardement passent au-dessus de nos têtes. Nous nous sommes remis en marche, après avoir pris un peu de repos.
L’attaque du Corps expéditionnaire a commencé. Nous avons pu nous nettoyer à une source d’eau vive jaillissant d’un rocher en pleine zone solide, mais la fatigue se fait sentir et nous avançons péniblement.
— C’est encore loin ?
— Normalement, non.
— Rien n’annonce pourtant une zone montagneuse.
— Nous l’avons presque atteinte, mais le brouillard nous la dissimule encore.
Des bruits d’explosion un peu partout. A droite. A gauche. Devant nous… Inconsciemment, je presse le pas. Cette fois, la bataille est engagée et c’est peut-être la dernière.
— Quelle est la portée de votre espèce d’équerre ?
— Trois ou quatre cents mètres… Pourquoi ?
— Je me demande si vous ne pourriez pas vous en servir contre les avions… Ils ne sont pas blindés, eux.
— C’est trop loin.
Exactement comme les translateurs qui, eux, sont trop petits. Le Sar Gamir a laissé dans les temples des exemplaires de ses armes, mais, après les avoir miniaturisées. Dommage que le Corps expéditionnaire ne comporte pas de savants.
En tout cas, la bande de terrain solide sur laquelle nous marchons s’élargit progressivement et soudain, le brouillard paraît se déchirer et le paysage change d’aspect.
Les montagnes sont toutes proches, commandées par un défilé au milieu duquel je repère la coupole d’un blockhaus souterrain. Je fais passer Lhoa derrière moi, puis j’avance franchement.
On ne tirera pas sur mon uniforme. Pas avant d’avoir vérifié qui je suis, en tout cas. Quelques fondrières. Des trous d’obus. Les avions tolks ont pilonné le secteur, mais sans beaucoup de conviction, semble-t-il.
— Halte !
L’ordre m’est lancé par un haut-parleur. Je stoppe immédiatement et j’annonce :
— Commandant Ray Ferris, du Morvan.
La coupole pivote lentement sur elle-même, puis s’ouvre, dégageant l’entrée du blockhaus d’où sortent deux hommes en armes. Le premier, un lieutenant, m’adresse un large sourire dès qu’il a pu s’approcher suffisamment près pour pouvoir me dévisager.
— Lieutenant Tedder. J’ai eu l’honneur de vous être présenté sur Grenot, mon capitaine.
— A l’état-major de l’amiral Denidoff, je m’en souviens…
Tous nos ennuis sont finis…
— Il faut que je rejoigne mon frère le plus rapidement possible au grand quartier général.
— Je peux mettre une voiture à votre disposition, mon capitaine… Pour le moment, le secteur est tranquille.